Aux côtés de Cécile Olivier, chef du service police/justice de BFM TV, il a rappelé les éléments qui ressortent de cette première journée d’interrogatoire, attendue par de nombreuses parties civiles.
Procès 13 Novembre – “Ne pas faire de Salah Abdeslam une star”
À l’ouverture du procès des attentats du 13-Novembre, mercredi, Salah Abdeslam a estimé que les accusés étaient “traités comme des chiens”. Des mots qui n’étonnent pas vraiment Dominique Kielemoes, mère d’un jeune homme tué par les terroristes sur une terrasse et représentante d’une association de victimes.
Les survivants et les familles des victimes attendaient ce moment depuis six ans, dans un mélange d’impatience et d’appréhension à l’heure de revivre cette nuit du 13 novembre 2015. Mercredi, le procès des attentats terroristes de Paris en novembre 2015 s’est ouvert au palais de justice de la capitale. Et lors de cette première journée, Salah Abdeslam a provoqué l’assistance en dénonçant ses conditions d’incarcération et se réaffirmant “combattant de l’État islamique”, ce qui blesse Dominique Kielemoes, mère de Victor Munoz, tué au café La Belle Équipe.
“Pas grand-chose à attendre” d’Abdeslam
Celle qui est également la vice-présidente de 13onze15, une association de victimes, s’est dit heurtée par les premiers mots de Salah Abdeslam devant la cour. “En tant que mère d’un jeune garçon de 24 ans assassiné à La Belle Équipe, Victor, évidemment que ça me fait mal”, confie-t-elle à la sortie de l’audience.
“En tant que vice-présidente d’association, car j’ai deux casquettes ici, on n’en attendait pas plus”, poursuit-elle, plus froidement. “C’est un assassin et on aimerait qu’il reconnaisse son crime. Mais il ne le fera pas et on ne veut pas lui être redevable. Et puis, on a tellement de mépris pour lui que finalement, ça ne nous touche pas tant que ça.” Pour Dominique Kielemoes, “il n’y a pas grand-chose à attendre” de Salah Abdeslam ni des treize autres accusés présents au palais de justice mercredi.
Une distance que souhaite aussi mettre Me Sacha Ghozlan, avocat des parties civiles : “Je pense qu’il ne faut pas en faire une star. Il devra être jugé comme un justiciable comme les autres pour les crimes qu’il a ou non commis et qui seront examinés pendant ces neuf mois d’audience.”
“Arrêtons de faire de Salah Abdeslam une star !”, s’emporte Me Gérard Chemla. “C’était le dernier du commando, il n’est pas allé en Syrie… Nous verrons ensuite ce qu’il a à dire mais moi, je ne suis pas suspendu à ses lèvres. On va donc arrêter de penser que chaque battement d’œil de Salah Abdeslam va nous faire trembler à l’autre bout de la Terre… ou de la salle d’audience.”
“La Belgique aurait peut-être pu réagir un peu mieux”
Ce procès-fleuve de neuf mois doit permettre de faire la lumière sur les défaillances éventuelles des services de renseignement avant ce 13 novembre 2015. La représentante de l’association de victimes, Dominique Kielemoes, estime pour sa part que les services belges n’ont pas su éviter les drames de Paris : “Ce qui fait mal aussi, c’est quand on voit l’énumération des gens qui sont dans le box, on se dit que quand même, la Belgique aurait peut-être pu réagir un peu mieux, un peu plus vite et un peu plus fort.”
A l’ouverture du procès des attentats du 13 novembre, Sacha Ghozlan, Avocat de parties civiles signe une tribune dans l’Express.
Au-delà de l’émotion et des récupérations politiques, le temps du procès est celui de la vérité judiciaire, rappelle le juriste.
J’appartiens à cette génération qui a passé son examen d’entrée à l’école d’avocat lorsque sont survenus les attentats du 13 novembre 2015. Devenu Avocat, j’ai l’honneur de porter la parole aujourd’hui de certaines victimes du terrorisme islamiste. C’est évidemment vertigineux.
Au lendemain de l’ouverture du procès des attentats du 13 novembre 2015 devant la Cour d’assises spécialement composée, je souhaite alerter nos concitoyens sur trois points d’équilibre qui, je le crois, guideront ces neuf mois d’audience.
Les grands principes face à la réalité judiciaire
Malgré tous les superlatifs employés pour qualifier ce procès et le caractère extraordinaire du nombre de parties concernées, les règles qui y seront appliquées seront celles de l’Etat de droit. Les accusés seront défendus par les meilleurs d’entre nous, et pourront faire entendre leurs voix ou bien garder le silence.
Car c’est la force d’une démocratie que d’ériger le droit en rempart à la barbarie, de substituer à la violence du crime, la justice républicaine indépendante et respectueuse des principes fondamentaux. Cette vigueur de l’Etat de droit peut se résumer dans l’article préliminaire du Code de procédure pénale : “la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties”.
Mais par-delà ces grands principes fondamentaux, le drame judiciaire est noué de fragilités qui s’entremêlent. Pendant près de six ans, les victimes ont dû faire face aux souffrances physiques et psychologiques, et au long chemin vers la reconnaissance de leur statut, à travers des expertises médicales, psychologiques, aussi complexes et lourdes que nécessaires.
On peut croire que ce procès sera l’épilogue d’un processus de reconstruction, et qu’il permettra aux victimes de retrouver un rôle de sujet. On imagine parfois aussi qu’un procès peut fournir des réponses. Je le souhaite sincèrement. Mais la réalité judiciaire, est qu’il y a eu, et qu’il y aura encore, probablement, de la déception et des questions légitimes qui demeurent sans réponse.
Derrière les termes de terrorisme, ce sont des actes bien réels, dans la froideur de leurs précisions qui seront analysés minutieusement.
Car derrière ce drame, de nombreuses questions juridiques, techniques et complexes seront analysées pour déterminer le niveau de responsabilité de chacun des accusés.
Des hommes et des femmes face à une idéologie mortifère
Face aux terroristes qui ont voulu effacer le visage de l’Autre, nous tenterons, à travers ces audiences de rétablir l’humanité que des terroristes ont voulu détruire en chacune d’eux.
Et de rappeler que face à eux, se tiennent des hommes, des femmes, qui en acceptant d’exposer un peu de leurs fragilités participent à la manifestation de la vérité judiciaire.
Dans un procès pénal, on parle de “partie civile”. Cette expression a sa part de grandiloquence et d’ambiguïté. Malgré leur nombre, “les parties civiles” ne sont pas une masse informe. En l’espèce, des citoyens, innocents ont été pris pour cible par des soldats d’un dieu fantasmé et dévoyé, précisément parce qu’ils sont citoyens et innocents.
Et en chacun d’eux, réside cette part d’humanité, cette histoire singulière pour laquelle il nous faudra trouver les mots pour l’intégrer dans un récit collectif.
Ils se tiendront debout, avec leurs fêlures, pour dire au monde ce que des hommes sont capables de faire à d’autres hommes. Pour que des hommes en jugent d’autres.
Le poids du silence face au bruit
D’autres n’auront pas l’envie, le courage, la possibilité ou ne se sentiront pas la légitimité de témoigner, voire de se rendre à ce procès. Leur absence ou leur silence ne devront pas être oubliés.
Dans l’enceinte du palais de justice, nous devrons écouter ces silences et ces absences. A charge pour les juges antiterroristes de les intégrer dans la décision à intervenir. Car ils participent, eux aussi, de la manifestation de la vérité judiciaire.
Le défi de ce procès sera enfin de laisser le populisme judiciaire et sécuritaire aux portes du Palais de justice. Repousser loin derrière les murs de ce Palais, une campagne présidentielle au cours de laquelle les visages et les noms des victimes ont d’ores et déjà été instrumentalisés à des fins électoralistes par des candidats putatifs ou déclarés.
Car nombreux sont ceux qui perçoivent dans ce procès pour l’Histoire, l’occasion de jouer sur les peurs pour confondre islam et terrorisme, pour renier nos principes fondamentaux ou propager des vérités alternatives. A nous, citoyens de nous opposer à ces préjugés, à ces raccourcis et au concours Lépine d’une prétendue lutte antiterroriste qui mérite d’être traitée avec sérieux et dignité.
Voici l’immense défi que nous nous apprêtons à relever collectivement, en veillant à ces trois points d’équilibre. Au terme de ce processus de neuf mois, les juges antiterroristes accoucheront d’une vérité judiciaire, à l’abri du vacarme politique mais aux yeux de tous les citoyens. Et alors, je le souhaite, nous pourrons reprendre le cours de nos vies.